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Titel
La Bourgogne, dernier des royaumes carolingiens (855-1056). Roi, pouvoirs et élites autour du Léman.


Autor(en)
Demotz, François
Erschienen
Lausanne 2008: Société d’histoire de la Suisse romande
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Gilbert Coutaz

Défendue en juillet 2002, à l’Université de Lyon III 1), la thèse de François Demotz a été retravaillée pour les besoins de la publication. La comparaison des deux versions démontre des modifications formelles, sans pour autant enlever à la démarche son caractère monumental et l’impressionnante masse d’informations accumulées.

Au final, 764 pages, 2314 notes de pied de page, 20 cartes, 19 tableaux généalogiques, 16 tableaux, 27 illustrations, autant d’éléments bienvenus et essentiels de la démarche. La bibliographie occupe 25 pages, alors qu’un index entremêlé des noms de personnes et de lieux s’étend des pages 735 à 751. La table des matières est judicieusement détaillée, ce qui permet de repérer rapidement les informations utiles et donne à l’ensemble des blocs d’information bien délimités. La matière est répartie entre quatre parties de longueur décroissante qui imposent à l’ensemble un découpage chronologique et qui sont autant d’étapes du développement du pouvoir des rois de Bourgogne et scandent l’intégration progressive de la Bourgogne à l’Empire. «La force des traditions carolingiennes (855-vers 950)», pp. 39-257; «Le royaume post-carolingien. L’enracinement aristocratique et seigneurial» (vers 950-vers 1000), pp. 295-421; «L’ampleur de la réorganisation royale (973-1016) », pp. 423-580; «Un royaume en sursis (1016-1057) », pp. 581-760. Chaque partie dispose d’une conclusion spécifique.Àla conclusion générale des pages 703 à 708 fait écho, en début de volume, une introduction générale (pp. 13-25), suivie d’un «État de la documentation», panoramique et sobre. Un chapitre intitulé «Prologue» (pp. 33-37) permet de dégager le contexte historique qui précède les années traitées par l’auteur. Les dates extrêmes choisies, 855 et 1056, trouvent leur justification par l’apparition, à partir du règne de Lothaire II (855-869), du duché de Transjurane, en rupture avec l’époque mérovingienne durant laquelle un duché s’étendait sur les deuxversants du Jura. En 1056, avec la mort d’Henri III, la Bourgogne transjurane n’est plus considérée comme une zone royale. Son poids politique s’estompe, le pouvoir public se disloque au profit des seigneurs laïques dès la seconde moitié du XIe siècle.

Le choix de la longue durée autorise l’auteur à placer précisément les mutations du royaume et l’implantation graduelle, puis centrale de la zone d’influence des rois de Bourgogne sur la région de l’actuelle Suisse romande pendant plus d’un siècle. Elle démontre à l’envi la force de la politique menée par les rois de Bourgogne à établir leur pouvoir sur les structures religieuses, en renforçant les institutions ecclésiastiques, en faisant de l’abbaye de Saint-Maurice, dès la constitution du royaume, le «pivot du pouvoir royal» (p. 492), le centre de gravité de leur pouvoir et le rayonnement de leur honor. Les rois de Bourgogne, principalement Rodolphe III (993-1032), vont tout spécialement s’appuyer sur les évêques en leur cédant des droits publics, à l’exemple de ce que font les souverains germaniques dans leur propre royaume. Ils donnent ainsi les pouvoirs comtaux à l’archevêque de Tarentaise (996), aux évêques du Valais (999), de Lausanne (1011) et de Vienne (1023). À travers les diplômes royaux en faveur de couvents, ils garantissent la sécurité des voies de communication. L’abbaye de Romainmôtier est, avec celle de Payerne, le relais de l’expansion clunisienne dans l’actuelle Suisse romande. Elle compose, sur la volonté de Rodolphe III, un des quatre éléments du réseau clunisien sur lequel le roi de Bourgogne s’appuie dès les dernières années du Xe siècle pour définir de nouveaux réseaux de l’exercice du pouvoir, à côté de ceux des évêques, et des églises qui se mettent en place au tournant de l’an mil. Ainsi, les fondations clunisiennes sur des sites déjà occupés antérieurement de Bevaix en 998 et de Saint-Victor, à Genève, peu après l’an mil, complètent le dispositif de contrôle des routes et les zones d’influence. Il y a derrière ces dates la détermination de Rodolphe III à former des circonscriptions territoriales organisées autour d’un établissement religieux. Le couvent de Romainmôtier se vit d’ailleurs reconnaître, au milieu du XIe siècle, un périmètre de sécurité autour du monastère et par là deviendra une entité politique autonome. L’espace territorial est systématiquement quadrillé par des pouvoirs confiés par les rois de Bourgogne aux évêques et aux églises, ainsi qu’à des membres proches de leur famille. Il offre (cela est constaté pour le couvent de Romainmôtier et l’abbaye de Saint-Maurice) des zones de convergence, sans qu’elles soient des zones de dispute. En tout cas, les documents sont muets sur de tels conflits. Au lieu de laisser des pouvoirs se fragmenter, les rois de Bourgogne les segmentent et les tiennent dans une ampleur parfaitement contrôlée.

Entre 888 et 1032, quatre souverains se succèdent à la tête de la Bourgogne. Rodolphe Ier (888-912), Rodolphe II (912-937), Conrad dit le Pacifique (937-993) et Rodolphe III (993-1032) s’intitulèrent le plus souvent «roi», sans précision géographique, le temps d’un royaume aux contours mouvants, «roi des Bourguignons», exceptionnellement « roi des Jurassiens», une fois la stabilité des frontières établie. Avec l’accession de Rodolphe Ier au pouvoir, la Bourgogne, pour la première fois depuis le début de son histoire, n’est pas englobée dans un grand organisme politique dont l’avenir appartient à un lieu de décision extérieur à son espace. Elle reste néanmoins profondément marquée par des facteurs géopolitiques et par la politique réaliste et pragmatiquemenée par les empereurs germaniques. Elle s’affirme comme une région intermédiaire et de transit entre le nord et le sud de l’Europe. Par leur politique expansionniste, Rodolphe Ier et Rodolphe II tentèrent plusieurs fois d’élargir leur sphère d’influence politique et familiale vers l’est, le nord et le sud. Les bénéfices ne furent en réalité que temporaires. Dans son expression large, atteinte au milieu du Xe siècle, la Bourgogne était composée de diverses circonscriptions territoriales s’étendant de Bâle à Marseille, en passant par les centres de Besançon, d’Aoste, de Lyon, de Grenoble, de Vienne, de Lausanne et de Saint-Maurice. Quant à la Bourgogne transjurane, elle débordait les frontières actuelles de la Suisse romande. Le Jura et les Alpes formaient des frontières nettes, les aires d’influence furent manifestes dans les régions parcourues par l’Aar et le long du Rhône; en revanche, au nord et à l’est, les limites étaient floues, s’estompant entre Moutier et Bâle, Bümplitz et Soleure, l’Aar et la Reuss. Trois archidiocèses assuraient le fondement territorial du royaume: Besançon (avec les diocèses de Bâle et de Lausanne), la Tarentaise (avec ceux de Sion, Saint-Jean-de-Maurienne et Aoste), Vienne (avec celui de Genève). On franchissait les Alpes par les cols du Mont-Joux et du Mont-Cenis.

Rodolphe III renforça son pouvoir dans les parties centrales de la Bourgogne, donnant à cet espace une forte cohérence politique et territoriale. Ce n’est pas peut-être un hasard si le diocèse de Lausanne et le pourtour du lac Léman sont les régions du royaume les mieux documentées. Grâce à l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune, leValais est un peu mieux connu, alors que le diocèse de Genève souffre d’une grande faiblesse de sources.

En 888, l’Empire est définitivement disloqué en entités politiques qui vivront chacune une évolution sociale, culturelle et institutionnelle propre – même si les structures héritées des Carolingiens perdurent encore longtemps, en particulier le pouvoir des évêques et de l’aristocratie. Parmi les royaumes nés de l’éclatement de 888, celui de Bourgogne est le plus modeste,mais il est l’un des plus durables. C’est la seule zone de l’ancienne Lotharingie qui survive comme entité politique, encadrée par deux puissances redoutables, la Francie occidentale et la Germanie. Bien plus, le nouveau royaume représente un remarquable cas de continuité: les usages carolingiens se maintiennent plus longtemps qu’ailleurs, ce qui fait des Rodolphiens les seuls successeurs des Carolingiens à régner continûment jusqu’au XIe siècle. La Bourgogne transjurane a connu plus tardivement que les régions voisines les phénomènes de la féodalité et l’accaparement des terres par les familles seigneuriales Le titre de la thèse trouve dans ce fait sa justification.

Différents facteurs ont concouru à la stabilité du royaume: le faible nombre de souverains à sa tête, et la longévité des règnes des principaux dignitaires du royaume de Bourgogne, en particulier autour de Rodolphe III, parmi lesquels les évêques des diocèses de Genève, de Lausanne et du Valais, l’abbé de Cluny, Odilon (993-1049). Les modèles de gouvernement de la Kirchenpolitik et de l’Adelspolitik sont empruntés aux puissants qui environnent la Bourgogne. Le territoire est dépourvu d’une aristocratie laïque capable de s’opposer aux pouvoirs royal et religieux. La principale nouveauté sur le plan territorial réside dans l’existence de circonscriptions organisées autour des établissements religieux, et non d’un comité. Il est probable que le fait de s’appuyer sur l’Église détourna la dynastie du souci raisonné, à long terme, d’une clientèle. Il en découle l’absence originale d’influence du roi sur la condition des terres et des personnes et une grande homogénéité dans l’exercice du pouvoir. La féodalité est alors balbutiante, voire peu appréciée, la société n’est seigneuriale qu’à partir de la fin du XIe siècle et l’aristocratie ne se transforme pas en noblesse avant au moins deux siècles. Autour de l’an mil, il n’est nullement question dans les actes privés de charges féodales ou de rapports de dépendance personnelle. On constate au contraire une forte allodialité chez les hommes libres, une vassalité faible et un mouvement seigneurial lent.

Bâti autour des routes qui relient l’Allemagne à l’Italie et à la Francie, le royaume résiste de manière étonnante, non sans habileté et sans stratégie familiale, aux velléités de mainmise. Les rois germaniques, dont les intentions sont manifestes depuis 926, devront attendre la mort de Rodolphe III, en 1032, pour reprendre à leur compte les terres de Bourgogne.

Déjà amorcé dans des études antérieures auxquelles les noms de Guido Castelnuovo et de Gilbert Coutaz sont associés 2), le jugement d’une vision renouvelée de la période et des rois de Bourgogne trouve en François Demotz un défenseur convaincant 3). L’interprétation qui a longtemps prévalu d’un royaume faible et de rois falots, en particulier Rodolphe III, entretenue par l’historiographie allemande, déjà à l’époque des rois de Bourgogne, est battue en brèche. L’étude est d’autant plus importante pour les historiens suisses qu’entre 888 et 1032, les rois de Bourgogne ont eu leur véritable assise patrimoniale et ont exercé le pouvoir de manière continue dans les régions de la Suisse romande. L’époque autour de l’an mil fut un moment privilégié de l’histoire de cette région. Dès le XVIIIe siècle, des historiens et des essayistes lui donnèrent un rôle fondateur. Qui plus est, certains en firent le premier référent de l’identité de la Suisse romande. Ce qui est inexact sous l’angle de la conscience historique ou d’un sentiment ethnique, mais exact dans le sens d’une période particulièrement féconde et dynamique. Ces constats sont d’autant plus évidents, quand on compare la Bourgogne transjurane entre 888 et 1032 aux périodes qui précèdent et qui suivent. Après 1056, le glas de l’indépendance bourguignonne a sonné, elle n’est plus qu’une région que l’on peut abandonner à un duc et un des accès à l’Italie. Elle perd son rôle de centre politique, tout en gagnant une incontestable autonomie. En l’absence d’un souverain fédérateur, son unité politique se désagrège, les grands issus du royaume de Bourgogne deviennent les maîtres de situations politiques locales variées. «Né de l’empire carolingien finissant et parmi d’autres royaumes, celui de Bourgogne est le dernier à mourir, non sans s’être transformé.» (p. 705).

L’étude classique de René Poupardin 4) a trouvé désormais son successeur, un siècle après sa parution. Comblant une longue période de disette historique sur la période, la thèse de François Demotz s’inscrit désormais comme la publication de référence, elle donne le cadre chronologique et documentaire, ainsi que les lignes directrices. Elle présente l’atout indéniable du choix de la longue période et du vaste espace. Par son approche monographique et panoramique, elle assure le soubassement nécessaire aux travaux de détail. À l’évidence, elle constitue le signal pour de nouvelles études sectorielles dont la thèse défendue en novembre 2008 à l’Université de Lausanne par Alexandre Pahud constitue la plus belle réussite 5).

1) Titre original: «La Bourgogne transjurane (855-1056). L’évolution des rapports de pouvoir dans le monde post-carolingien», annoncé comme accessible en ligne sous http://doc.rero.ch/record/10633?ln=fr – en fait, il s’agit du texte publié en 2008. Elle est citée pour les documents que la version imprimée ne reprend pas, cf. p. 195, note 347. Quelques menues incorrections parsèment le livre (p. 27, «siècle dernier», en fait XIXe siècle; p. 704 («Rodoplphiens»). Des ouvrages ont été publiés entre-temps. Ainsi cf. p. 396, note 187, p. 446, note 71, p. 449, note 89, p. 572, note 209.

2) Agostino Paravicini Bagliani, Jean-Pierre Felber, Jean-Daniel Morerod etVéronique Pasche (dir.), Les pays romands au Moyen Âge, Lausanne: Payot, Territoires, 1997, pp. 109-114 et 580.

3) La notice du Dictionnaire historique suisse, t. 2, 2002, p. 531 (Hans-Dietrich Kahl) ignore le travail de Demotz et souffre dans sa formulation d’une présentation stéréotypée.

4) René Poupardin, Le royaume de Bourgogne (888-1038). Étude sur les origines du royaume d’Arles, Paris: Honoré Champion,Bibliothèque de l’École des hautes études. Sciences historiques et philologiques fasc. 163, 1907, 508 p.

5) Alexandre Pahud, Le couvent de Romainmôtier du début de l’époque clunisienne à la fin du XIIe siècle. Étude archivistique, diplomatique et historique, suivie de l’édition du chartrier, Lausanne, 2008, 498 p. La thèse a été dirigée par le professeur Agostino Paravicini Bagliani. Elle est la première thèse de lettres de l’Université de Lausanne en histoire du haut Moyen Âge.

Citation:
Gilbert Coutaz: compte rendu de: François Demotz, La Bourgogne, dernier des royaumes carolingiens (855-1056). Roi, pouvoirs et élites autour du Léman, Lausanne: Société d'histoire de la Suisse romande, Mémoires et Documents publiés par la Société d'histoire de la Suisse romande, 4e série, t. IX, 2008, 764 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 117, 2009, p.280-283.

Redaktion
Veröffentlicht am
18.03.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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